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Résidence de Frank Smith à l’Espace Khiasma et aux Archives nationales
« […] pour prendre le ton, je lisais chaque matin deux ou trois pages du Code civil […] ; je ne veux pas, par des moyens factices, fasciner l’âme du lecteur. »
Lettre de Stendhal à Honoré de Balzac, 30 octobre 1840
Avouer avec l’objectif – accompli – de scandaliser son correspondant, ce rituel d’écriture, incongru et provocateur, montre bien le fossé qui sépare le travail littéraire de l’écrivain des usages juridiques ou administratifs de la langue – usages dont témoignent la plupart des documents conservés aux Archives nationales. Or, s’interdisant lui aussi d’être un « fascinateur d’âme » et après avoir fabriqué deux livres à partir des comptes rendus d’interrogatoire des prisonniers de Guantanamo (Guantanamo, Seuil, 2010) et des rapports de l’ONU sur l’« Opération Plomb durci » menée à Gaza par le gouvernement israélien (Gaza, d’ici-là, Al Dante, 2013), c’est aux Archives nationales que Frank Smith a décidé, dans le cadre de sa résidence d’écriture à l’Espace Khiasma, d’installer un BIP (Bureau d’Investigations Poétiques). Le livre élaboré à l’issu de ce travail se proposera dès lors d’explorer les modes de fabrication d’une « langue démocratique », en mesure de construire la vérité et la continuité du monde à travers ses transformations.
Cette volonté de remodéliser une « langue démocratique » est à comprendre dans les deux sens :
D’abord, lire et relire — afin de les désarticuler, d’en saisir les arcanes — certains des documents produits par cette langue de la démocratie : émanation des pouvoirs centraux de l’État et des opérateurs nationaux, constitutive du corps social et ordonnatrice du territoire sur lequel celui-ci se déploie, dont elle accompagne la reconfiguration. Déplacer ces documents pour les faire advenir dans l’espace littéraire procède donc d’un premier « glissement de terrain » : la page du livre à venir constituant ainsi un champ d’ancrage sur un territoire donné (en l’occurrence : la Seine-Saint-Denis). Une surface associée au dépôt de fragments verbaux que l’on aura prélevé sur une portion de terrain glissant, délimité (par triangulation Pierrefitte-sur-Seine/Stains/Saint-Denis : là où se trouve le site des Archives nationales) au sein d’un département en pleine mutation sociale, politique, économique et culturelle. Toutefois, il ne s’agit pas tant de traduire une langue dans une autre (ajoutant les ornements du style au matériau documentaire brut), mais d’en changer le contexte et le régime d’énonciation. D’en perturber l’agencement, les connexions logiques — tout en conservant le mode de fonctionnement du procès (process) verbal : constituer un récit qui dit ce qui est fait.
Ensuite, bien noter que le concept de « langue démocratique » renvoie également — et plus directement peut-être — à ce droit pour chacun de prendre la parole, d’avoir voix au chapitre : un lien direct entre littérature et société, affirmée par la Révolution française, lorsque l’on s’est mis à considérer que celle-ci était l’expression de celle-là. Or, il est important d’affirmer que s’il y a glissement de terrains, il intervient également sur celui-ci : l’espace de la page est celui de la multiplicité des voix et des récits lorsqu’elle prend toute la mesure du terrain social d’où ils émanent. Vouloir une langue démocratique, donc. Car la poésie se loge moins dans un style que dans un effort constant pour renouveler la construction, l’agencement et les enjeux du livre : en faire le terrain d’expression d’une polyphonie de foule catalysée en « chœurs politiques ».
Aussi, par re-conception du poétique dans un souci pragmatique (ne s’intéresser qu’aux choses, au réel) et poursuivant la démarche que comptait mener Michel Foucault dans La vie des hommes infâmes, la résidence d’écriture de Frank Smith couvrira deux types de temporalité : à l’étude des archives (présent antérieur) s’ajoutera celle des témoignages (présents de l’indicatif), afin de tenter d’élucider des formes de vies communes, des figures de la quotidienneté, des interrelations de l’intime aux institutions comme manifestations du pouvoir. Appliquant, tour à tour, les méthodes du reporter (investiguer sur le terrain) et de l’archéologue (creuser les strates de cette réalité sédimentée, produite par « glissements de terrain », que métaphorisent les fonds d’archives), le travail mené par Frank Smith sera encore une fois celui d’un agent de liaison : fouiller un territoire, partir d’une archive, « traiter » cette archive, parcourir chacun des lieux dont il y est question, et, une fois en situation, leur donner écho au moyen d’un nouveau texte – les « réajuster ». Retenir ce qui se passe et ce qui s’est passé pour, à partir de ce glissement de la langue au territoire, et du territoire à la langue, envisager la possibilité pour la poésie d’organiser l’espace public en intervenant telle une opération pratique, concrète, où l’on pense non seulement l’art comme un acte – individuel certes –, mais aussi comme un lieu public, une scène ouverte. Dans ce but, Frank Smith se proposera d’endosser, très concrètement et dans ce que cela implique en terme de relation au territoire et à ses habitants, la charge d’écrivain public !
Le festival de littératures vivantes RELECTURES 15 a servi de rampe de lancement à ce vaste programme, avec trois rendez-vous à ne pas manquer :
– Vendredi 26 septembre, 20h30, à L’Espace Khiasma : EXPOSÉ DES FAITS / VANESSAPLACE INC. / LAST WORDS avec Vanessa Place (carte blanche à Frank Smith)
– Samedi 27 septembre, 17h00, à Lilas en Scène : POÉTIQUES DU TÉMOIGNAGE avec Fiona McMahon & Geneviève Cohen-Cheminet (table ronde animée par Frank Smith)
– Samedi 27 septembre, 20h30, à L’Espace Khiasma : LA TABLE DES OPÉRATIONS (protocole élaboré et partagé par Frank Smith)
PROCHAIN RENDEZ-VOUS :
– Jeudi 9 avril, 20h30, à L’Espace Khiasma : UN ABC DE LA BARBARIE avec Yves Pagès (carte blanche à Frank Smith)
La résidence de Frank Smith à l’Espace Khiasma et aux Archives nationales s’inscrit dans le cadre du dispositif « Écrivains en Seine-Saint-Denis » initié par le département de la Seine-Saint-Denis.
Frank Smith est écrivain / poète. Il est aussi producteur radio : il a collaboré à France Culture (coordination-animation de « La poésie n’est pas une solution », été 2012 ; co-direction de « L’Atelier de création radiophonique », de 2001 à 2011, etc.).
Il a coopéré au journal L’Impossible / L’autre journal, à la revue Mouvement, et anime le dispositif « Poé/tri » d’entretiens avec des poètes pour nonfiction.fr. Il est aussi éditeur, directeur de la collection de livres/CDs « ZagZig » qu’il a fondée aux éditions Dis Voir (œuvres originales de Laurie Anderson, Jonas Mekas, Lee Ranaldo, Ryoji Ikeda, Chloé Thévenin, Christian Marclay, etc. ― à venir : Winterfamily, Loris Gréaud, Lawrence Weiner et Nico Muhly).
En agent de liaison, son travail d’écrivain le conduit à pratiquer le traitement (factuel et disposital) de textes dans la mouvance des poètes objectivistes américains ― hommage post-mimétique en traître à l’écriture. Avec Guantanamo, publié en 2010 au Seuil (Coll. « Fiction & Cie ») et porté à la scène par Eric Vigner, il inaugure, à partir de documents et d’archives, une série d’« investigations poétiques » en phase avec les conflits majeurs du monde contemporain.
Il est également l’auteur de fictions et de documentaires radiophoniques ainsi que de courts-métrages ou ciné-poésies où parler et donner à voir se font(den)t dans un même mouvement. Prochaine opération : Le Film des questions — à la fois un livre paru aux éditions Plaine Page en mai 2014 et un film qui sera présenté au festival Hors Pistes 2015 au Centre Pompidou, à Paris.
Nombreuses interventions publiques — conférences / colloques / lectures élémentaires, ou augmentées via le dispositif « TalkSaver » en collaboration avec l’artiste Pierre Giner — (CAPC, Bordeaux ; ActOral, Marseille ; Les Correspondances de Manosque ; CIPM, Marseille ; Gaîté Lyrique, Paris ; Maison de la Poésie de Paris ; Maison de la Poésie de Nantes ; Centre Pompidou, Paris ; Poéma, Nancy, ; MOCA, Los Angeles ; Écoles des beaux-arts de Nîmes / Rouen / Le Mans ; Universités d’Aix / Paul Valéry, Montpellier / Artois, Arras / ESIT, Paris 3, etc.).
En 2013, il a séjourné au Domaine départemental de Chamarande (programme de résidence d’écrivains en Ile-de-France) où il a mené une recherche portant sur la question « Qu’est-ce que ça veut dire, penser à quelqu’un ? » Il y a notamment présenté une installation collaborative texte / son / vidéo à l’Orangerie du Domaine (été 2013), qui sera prolongée dans le cadre de la médiathèque Marguerite Audoux (Paris 3e) en octobre 2014 à l’occasion de la publication de Surplis, Argol / École Estienne.
Il mène actuellement l’écriture d’un essai d’investigations poétiques intitulé La table des opérations.
Structure soutenue par Khiasma dédié à l’accompagnement de résidences cinématographiques et audiovisuelles.
Khiasma est soutenu par :
La Région Île-de-France
Le Département de la
Seine-Saint-Denis
La DRAC Île-de-France
La Ville des Lilas
La Ville de Paris
La Mairie du 20è
Paris Habitat
La Fondation de France
Khiasma est membre du réseau TRAM et partenaire de Paris-Art.
21.06.2016
Dans le cadre de la manifestation Horizons, l’oeuvre monumentale de Vincent Chevillon Tentative d’évasion est installée jusqu’à fin septembre sur le massif du Sancy, en Auvergne (http://www.horizons-sancy.com/).
11.04.2016
Le film de Simon Quéheillard, De commencements en commencements, vient de recevoir l’aide au film court du département de la Seine-Saint-Denis. Après une belle post-production, une avant-première de cet hommage au burlesque arrivera très bientôt sur les écrans lilasiens !
28.03.2016
Développé au cours d’une résidence d’Alice Diop à Khiasma, le film Vers la tendresse a reçu le Prix INA réalisatrice créative du meilleur court métrage francophone et le Prix du public du meilleur court métrage français. Bravo !
17.03.2014
Initiative du collectif le PEROU
« L’ambassade du PEROU à Ris-Orangis est un repère – un espace visible – et un observatoire – un lieu qui regarde -. Décrire ce qui a lieu dans un bidonville situé sur le territoire européen, telle est l’ambition de ce blog. Exactement, il s’agit de décrire l’humanité qui a lieu, l’humanité qui fait lieu » (décembre 2012). Le 3 avril 2013, tout a été détruit, sauf l’essentiel. A Grigny, où vivent aujourd’hui les familles, nous continuons d’œuvrer pour que l’on construise enfin.
Découvrez ici, la dernière lettre de Sébastien Thiéry, coordinateur du PEROU, au Maire de Grigny. Une invitation au dialogue sur le devenir des familles de Roms présentes dans le bidonville.
19.12.2013
Félicitations à Butler&Mirza pour leur pré-sélection pour le prix Art Mundi 6. On leur souhaite de tout cœur de le remporter pour mener à bien tous leurs projets et nous surprendre encore.
Rapellons que le duo d’artiste avait exposé leur oeuvre Hold Your Ground à Khiasma, dans le cadre de notre exposition de rentrée, Rendez-vous : sortie de mon corps.
Plus d’informations ici !
28.11.2013
Article d'Isabelle Regnier
En place depuis le 12 novembre 2013, notre cycle Possessions a fait parler de lui dans les pages du blog du Monde. Sous la plume d’Isabelle Regnier, découvrez, ou redécouvrez l’identité de cet évènement qui déplace le genre documentaire, entre projections et performances.
Pour découvrir l’article, c’est ici…
Et pour suivre le déroulement de notre programmation jusqu’au 12 décembre, c’est là !
28.11.2013
Séance du Peuple qui manque
« An Italian Film (Africa Addio) » de Mathieu K Abonnenc sera projeté demain au Centre Pompidou dans le cadre d’une séance du Peuple qui manque. Rappelons que l’artiste présente également sa vidéo dans le cadre de notre exposition « Rendez-vous : sortie de mon corps » et qu’elle reste visible jusqu’au 12 décembre 2013. La caméra Red utilisée pour le tournage confère une qualité exceptionnelle à l’image qui vient renforcer le propos percutant du film. En ce concentrant sur le cuivre, qui fut l’une des causes de la guerre de Sécession au Katanga, et, auparavant, la raison de l’intérêt des Occidentaux pour la R.D.C, l’artiste reconstitue un épisode de l’histoire du capitalisme et de ses mécanismes, montrant les effets de l’industrialisation par des nations européennes sur des pays et des populations colonisés. http://www.lepeuplequimanque.org/thousand/27-11-13
15.11.2013
Exposition “Ânes situ” de Hicham Benohoud
Jusqu’au 12 décembre 2013, Khiasma accueille en son sein l’exposition collective « Rendez-vous : sortie de mon corps ». À cette occasion, Hicham Benohoud, photographe, expose « Version soft » une série de 5 images qui présentent calmement et fermement son malaise face à sa situation, à sa culture, à son pays. Mais en parallèle, l’artiste expose également à Casablanca « Ânes situ », une série de photographies qui fait écho au statut de l’homme au Maroc.
À découvrir ici !
05.11.2013
Ciné-concert
En lieu et place du traditionnel C’est dimanche ! – le cinégoûter organisé à l’Espace Khiasma chaque dernier dimanche du mois – Fantazio se propose de créer un habillage musical interactif à partir d’un montage de films muets.
« On part de rien. Un son arrive : on peut se coincer dedans, se prendre les pieds dedans, mourir dedans tout de suite. Si un deuxième son sur lequel on pourrait se reposer ne surgit pas, tout s’arrête. Plus de transformation possible. L’improvisation ne peut pas vivre sans entraide. En situation de guerre, d’urgence, de panique, soit on reste pétrifié passif, soit on improvise : on prend en main la situation, on se mouille, on laisse de côté à la minute la force rongeante du regard sur soi. »
Dimanche 23 novembre 2013 à 16H00
Espace Khiasma, 15 rue Chassagnole, 93260 Les Lilas
06.08.2013
Feuilleton dessiné
Depuis janvier 2013, Hélène Coeur, Célio Paillard et Frédéric Mathevet mènent un atelier sonore dans le quartier des Fougères (Paris 20e), avec une classe de CE2-CM1 de l’école Le Vau. Au cours de cette première année d’ateliers, les participants apprennent à «écouter et jouer leur quartier », faisant travailler leurs oreilles mais aussi leur corps et leur imagination. Une expérience mise en récit par les artistes sous la forme d’un feuilleton dessiné. Découvrez au format pdf :
Episode 1 : Le cri de la Fougère
Découvrez la présentation de l’atelier sur le site de L’Autre Musique
Un projet soutenu par la Fondation de France.