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Comme un lundi : «Des fables au visage sale»

Lors d’une séance de travail avec le collectif ExposerPublier la semaine dernière, nous nous demandions comment raconter Khiasma. Raconter Khiasma maintenant, à un moment de glissement de terrain, de changement de paysage et d’arrivée en fanfare des fictions bavardes d’un Paris nécessairement Nouveau et Grand. Que peut réparer le récit, que peut-il défaire ?

Raconter une histoire de soi et une histoire des autres avec soi et dans soi. Khiasma et, dans, avec la Seine-Saint-Denis, honni département le plus pauvre de la nation, devenu lieu d’expériences trop cools. Comme ailleurs, dans d’autres capitales, se consument les lieux sûrs. Et ils sont sûrs car ils sont incertains, capables de disparaître. Ils réclament une certaine forme de présence pour exister. Ils sont sûrs car il faut en trouver le chemin. Et ils sont sûrs car ce sont des lieux à partir desquels on peut (se) parler et quitter les débats gazeux de l’économie de l’attention. Parler depuis son expérience mais pas seulement, parler depuis son corps mais pas seulement, en présence d’autres aussi qui nous informent de points aveugles, d’expériences silencieuses, de possibles. Faire lieu. On sait depuis le début que le lieu qui nous intéresse n’est pas seulement local et que le local demande tout autant qu’autre chose à être construit s’il ne veut pas devenir une triste injonction sans substance. Car le lieu qui nous regarde est aussi un récit et c’est en cela qu’il résiste et qu’il hante, qu’il persiste et trouble, qu’il renait sans cesse autrement. Il n’est pas raisonnable.

Nous racontons à présent à partir de notre disparition. Même si nous sommes encore là, nous parlons depuis notre stade zombie. Ne réclamons pas le droit d’exister car nous ne pouvons disparaître sans revenir dans d’autres formes. Nos muscles sont solides comme ceux d’agiles morts-vivants.

Khiasma a cette année 17 ans et ça pèse maintenant des siècles et à la fois rien du tout. C’est la loi de l’économie de l’oubli où tout est urgent, désirable, vieux et dégoûtant en même temps. Et nous faisons bien notre affaire de ce délicieux état de pourriture. Nous fabriquons chaque jour des fables que nous murmurons aux oreilles des princes et des reines du Grand Paris, à tous ceux qui libèrent nos rues des dangers et des craintes, des inutiles et des abîmés. Des fables au visage sale.

A ce soir.

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Over the course of a work session with the collective ExposerPublier last week, we wondered how to narrate Khiasma. Narrate Khiasma now, at a time of territorial shifts and changing landscapes, and the noisy arrival of talkative tales of a necessarily New and Grand Paris. What can the narrative repair, what can it undo? Narrating a story of oneself and a story of others with oneself and within oneself. Khiasma and, in, with the Seine-Saint-Denis, abhorred as the nation’s poorest district, turned into the place for the coolest experiences. Like elsewhere, in other capital cities, safe place are exhausting themselves.

And they are safe because they are uncertain, capable of disappearing. They demand a certain form of presence to exist. They are safe because one has to find his way to them. And they are safe because they are places from which one can speak, exchange, and leave the shallow debates of the attention economy. Speaking from one’s experience but not only, speaking from one’s body but not only, in the presence of others too, who inform us of blind spots, of silent experiences, of other possibles. Faire lieu – making place. We’ve known from the start that the place that interests us is not just local, and that the local requires, just as much as anything, to be constructed if it doesn’t want to become a sad, fleshless injunction. Because the place that concerns us is also a narrative, and it is precisely as such that it resists and it haunts, that is persists and disturbs, that it is ceaselessly reborn. It is not reasonable.

We are now narrating from our disappearance. Even though we are still here, we are speaking from our zombie state. No point in demanding the right to exist, because we cannot disappear without coming back in other forms. Our muscles are solid, like those of agile living-dead. Khiasma will be turning 17 this year, and it now weighs centuries and at the same time nothing at all. It’s the law of the forgetting economy, where everything is urgent, desirable, old and disgusting at the same time. And we make the most of this delicious state of decay. Each day, we make up fables that we murmur into the ears of the princes and queens of Grand Paris, and all those who rid our streets of danger and fear, of the useless and the damaged. Fables with dirty faces.

See you this evening.

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    Comme un lundi : «Ce dont la fin de Khiasma est le nom»

    Quand un petit centre d’art associatif tel que l'Espace Khiasma ferme dans la proche banlieue de Paris, en Seine-Saint-Denis précisément, c’est forcément un signe des temps. Happy Mondays: «What the end of Khiasma stands for» When a small-scale independent art centre like Espace Khiasma closes in the Paris suburbs, in the district of Seine-Saint-Denis specifically, it is necessarily a sign of the times.

  • La Loge, The (Archival) Box — récit d'une résidence par anticipation [ExposerPublier]

    Notes du vendredi 2 mars 2018 "Ce que nous sommes : un collectif d'artistes chercheurs et de graphistes. Ce que nous produisons : des formes et des signes à partir d'une matière première. Ce que nous allons faire à Khiasma : une résidence de recherche et production (de formes et de signes) à partir d'une matière première qui est le centre d'art lui-même, ce qu'il produit (de la recherche, du savoir, des œuvres, des relations, de l'archive par la radio,…), ainsi que le contexte territorial dans lequel il s'inscrit.

  • La Loge, The (Archival) Box — récit d'une résidence par anticipation [ExposerPublier]

    Samedi 22 septembre On n’imagine jamais que cela puisse arriver, en vrai. Les journées défilent, les idées s’enchaînent, les urgences aussi. Et puis, un jour, il est peut-être trop tard. Trop tard pour réaliser certaines choses, trop tôt pour d’autres probablement. J’avais imaginé tenir les Mercredis de La Loge, ou des Chroniques d’excavation. Cela devait commencer au mois d’août et s’ouvrir sur une rue déserte, écrasée par la chaleur de l’été. J’avais commencé un texte. Il évoquait les discussions que nous avions eues depuis un an autour de cette table trop grande pour cette demie cuisine, trop bancale pour ces longues réunions, trop petite pour ces nombreux.ses convives. Nous devions entamer ce mois-ci notre année de résidence, devenir (enfin) les concierges du centre d’art dont nous avions écrit les rôles.

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    Comme un Lundi : «Le lieu se fait en nous»

    ... Mais il a fallu faire un lieu. Fatalement. Pourquoi donc ? On ne le sait pas. Khiasma est un accident qui est si signifiant avec le temps qu’on aurait du mal à le penser comme un fait du hasard. Mais du mal aussi à l’expliquer autrement que comme une démangeaison qui un jour devient une pensée en acte. Happy Mondays: «The place becomes within us» ... But there was a place to make. Fatally. Why so? We do not know. Khiasma is an accident that’s become so meaningful in time that it’s difficult to picture it as the result of pure chance. Difficult, too, to explain it otherwise than as an old itch turned one day into a thought in action.