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Article — Expositions
Cher Olivier,
Voilà, sommeils a pris corps. Ce projet aboutit finalement à un objet particulier au vu des diverses expériences menées ces derniers mois. Jusqu’à la dernière minute, il a fallu faire des choix. sommeils propose une mise en veille de l’état d’exposition. L’image y est sous-exposée, retenue et sa luminosité assombrie. Le recours à la parole, que j’ai décidé cet été, dans les derniers mois du travail, a aussi été un élément important tant le son fut jusqu’ici absent. Je t’écris quelques pistes de réflexions, en préparation de la rencontre de samedi prochain. Mais tout cela reste frais et je n’ai pas envie de trop écrire et de trop en dire. Pour l’instant, j’ai besoin de poser et de penser quelques mots, quelques éléments de ce qui me reste à mûrir. J’aimerais poser des questions aussi en prévision de samedi.
chambre noire / caméra
Pénétrer les premières salles c’est entrer à l’intérieur de la caméra, dans une chambre noire qui semble se diffracter en un prisme qui, de temps à autre, s’ouvre et laisse filtrer les images. La dernière salle propose la chose inverse : ce sont des voix et divers points de vue extérieurs qui se recentrent autour de la caméra. Un des fils rouges du travail a été de faire de l’exposition une opération de projection : de donner l’impression que ma caméra se projette à l’échelle de l’Espace Khiasma. L’espace devient la caméra.
courant d’air
Dans l’exposition, le courant d’air est ce fil invisible qui traverse l’espace et relie les vidéos. Il en est aussi l’activateur mécanique : c’est le vent qui actionne l’ouverture et la fermeture des obturateurs, entrainant dans son sillage la lumière des images.
sondes
L’espace de sommeils se recouvre d’ombre. L’obscurité est ici pensée comme l’antre d’où tout peut surgir. Antre à pénétrer à tâtons, en exercice de reconnaissance. L’inconfort dans lesquels nous plonge l’obscurité est important à mes yeux car il conditionne un rapport d’accommodation à ce qui nous entoure.
dehors
J’ai l’impression que cette exposition est un négatif du dehors. Le dehors y est pensé en creux, depuis l’endroit du retrait. D’habitude, j’évoque le réel en évoquant le dehors. Mais je crois que je confonds les deux et que ce point reste confus en moi. Je ne sais pas précisément ce que veut dire le réel que tu évoques souvent. Le dehors semble mieux me correspondre dans ce cas précis. Les variations atmosphériques du dehors. L’espace social du dehors. Le dehors en contrepoint du confiné, de la chambre, de la boîte, de l’intérieur de la caméra. Le dehors un peu magique aussi : celui inversé que projette la camera obscura.
Tunisie
J’ai le sentiment que la dissimulation en œuvre dans sommeils peut être vue comme une grande opération de sonde. Sonder le dehors par un contact à distance. Approcher un mystère, quelque chose qui surgit pour mieux fuir. Il ne s’agit pas de n’importe quel dehors évidemment. sommeils borde un horizon dissimulé : la Tunisie. Par ses lumières et ses voix, la Tunisie est au centre de l’exposition mais en creux. Elle reste tapie dans l’ombre. Ce motif central se manifeste en marge mais s’infiltre en lumières et en voix. Il s’agit moins d’exposer un motif que la façon qu’à ce dernier de se manifester.
feuille
Comme ce fut le cas pour Orientations, filmer revient à sonder les termes d’une juste distance. Le rapport aux choses se fait par touches en passant par l’intermédiaire d’un objet (encre dans Orientations, feuille de papier dans sommeils). Et il me semble que le cache en papier formalise le contact à distance et son tremblement ses mouvements d’accommodation. La feuille, à l’image, devient faille. Elle se fait liant, pellicule, surface de contact qui accompagne le regard dans l’espace filmé. Mais ce mouvement de balancier relie tout autant qu’il coupe ce qui par le film tendrait à faire bloc, continuité ou masse, ce qui dans le film peut devenir autoritaire ou totalisant : un panoptique, une vue d’ensemble, un horizon, une affirmation sans retrait possible. Je ne sais pas encore dans quelle mesure, mais je crois que je me suis empêché de fixer tout état de fait.
tâtons
Il est important pour moi que sommeils se tâtonne, que l’exposition se parcoure par touches. L’obscurité empêche de porter un regard d’assurance, de porter une vision d’ensemble.
sommeils et sondes
C’est notamment sur ce point que l’exposition sommeils dialogue avec sondes aux Eglises de Chelles. sondes explore, mais d’une toute autre manière, la question de l’accommodation. L’opération de sonde et de toucher à distance y est fondamentale à travers notamment les rapports d’échelles de distances et de luminosité. Au contraire de sommeils, sondes est inondée de la lumière naturelle parvenant des vitraux. Un mur a été construit au milieu de la première église pour devenir écran. Cet écran est double : il permet d’accueillir une projection vidéo et d’éclipser la partie centrale de l’église. Par un saut d’échelle, ce mur imposant et massif contraste avec l’installation Coulée douce qui se trouve dans la seconde église. Dans cette installation, un fil à coudre noir est dévidé sur une hauteur de dix mètre en courbe vers le sol. Un goutte-à-goutte s’écoule le long de ce fil. Imperceptible, cette installation induit une autre forme d’acuité aux choses en reportant l’attention autour de phénomènes de toute petite échelle. J’ai été étonné de voir les visiteurs s’amasser autour de ce presque rien, autour de la flaque d’eau en train de se former et d’observer la chose durant de longues minutes. Le rapport d’acuité et d’accommodation aux détails passe ici par une forme de contemplation qui m’a renvoyé à celui de certains spectateurs bordant l’écran blanc, à l’écoute des voix dans sommeils.
voix
Filmer en appelle à une déprise recourant au vent et à la parole des autres. Je filme en faisant du vent un complice. Le vent porte aussi la voix des personnes croisées durant le travail. Ces personnes, par leurs mots, deviennent les intercesseurs de l’exposition. A leur manière, ils la bordent et l’entourent. A leur insu, ils l’accompagnent et l’habitent en paroles.
foyer
La caméra devient un « foyer » (je reprends ton terme que je trouve très beau). Aussitôt plantée dans le paysage, elle se transforme en un point autour duquel on s’arrête pour parler.
illusion
Les voix sont énigmatiques, comme serties d’ombre. Elles sont d’autant plus précieuses qu’elles émanent de personnes qui ont assisté à l’expérience. La parole décrit et met en lumière ce qui est dissimulé au spectateur, ce qui se trame de l’autre côté de la feuille de papier, en revers d’écran. Elle vient révéler les indices d’un envers dérobé, dessiner l’entour de l’image fabriquée jusqu’à ce que, par elle, infuse le présent d’un endroit (celui où s’est déroulée l’expérience). En même temps qu’elle en dit long sur le contexte de la scène, la parole tend à dévoiler la machinerie de l’exposition. Mais en épuise-t-elle pour autant l’illusion ?
intercesseurs
Pénétrer l’architecture obscure de sommeils, c’est zoomer dans l’encre d’Orientations : aller là où apparaissent les images.
sommeils déploie l’expérience d’Orientations en développant notamment la question de l’intercesseur. Comme dans Orientations le passant devient l’intercesseur du dispositif de captation. Je viens de relire notre échange du FIDmarseille et c’est frappant d’y retrouver les germes de sommeils. Dans sommeils, les intercesseurs sont multiples et proposent chacun un point de vue différent sur une même chose et sur une même expérience. Cet élément de multiplicité, à l’image des multiples fenêtres qui apparaissent dans l’exposition, est très important et le choix des différents dialogues a été difficile à faire. J’ai opté pour ceux qui me paraissaient apporter des points de vies différents, voire contradictoires. Et pour ceux qui évoquent, l’expérience en cours et l’objet caméra.
Je me demande quel lien peut-il y a voir entre intercesseur et médiateur ? Ces voix deviennent-elles les médiateurs de l’exposition ?