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La Loge, 18 avril 2018

Depuis la fin de l’année 2017, la première salle de l’Espace Khiasma s’imprègne de nouvelles odeurs — ragoûts, peinture acrylique, encre d’imprimerie ou tasseaux de pin — et met à l’épreuve de nouvelles manières d’habiter le numéro 15 de la rue Chassagnolle. C’est avec le collectif ExposerPublier que nous expérimentons ce nouveau lieu de fouille, la « Loge » dans le langage vernaculaire.

Celle-ci sera autant une boîte à outils — où seront stockés et mis à disposition du public et des employés de Khiasma les matériaux collectés, des outils de travail théorique et artistique — qu'un espace de consultation et d’exposition des archives partagées et des films produits par les artistes compagnons du lieu. Il sera aussi un lieu d'accueil pour y recevoir amis, voisins, invités, étudiants, chercheurs, etc. Le seuil d’un lieu sûr qui depuis l’ouverture de l’exposition de Filipa César et Louis Henderson, Op-Film, Une archéologie de l’optique, a accueilli la curiosité des plus jeunes et de leurs familles, la visite d’étudiants venus prendre des forces pour nourrir les soulèvements en cours ou encore des habitants des Lilas qui savent qu'il y a de la vie sous le béton.

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En classe d'optique ou en famille

Les visites scolaires et familiales de l’exposition «Op-film une archéologie de l’optique» commencent dans la Loge. Baignés d'une lumière tamisée, les quelques mètres carrés fédèrent. Avant de laisser son attention se dédoubler au rythme des lentilles disséminées dans l’exposition, c’est le moment d’en apprendre plus sur l’association, ce que nous y faisons, qui nous sommes et ce que nous allons faire ensemble. Les questions se posent… Qu’est-ce qu’une archive ? Pourquoi faut-il garder des traces ? Faut-il garder des traces ? Pour qui ? Qu’est-ce qu’une trace ?

C’est le début d’une histoire entre un public et un espace, on y apprend à se connaître et à poser les questions qui nous démangent. Tout au long du mois de mars, nous chargeons ainsi chaque dimanche cette pièce de rencontres et d'échanges autour de l’exposition. Qui sont ces artistes ? Qu’est-ce qu’engage une exposition ? Une collaboration ? Une illusion d’optique ? Une illusion ? La “Loge” est un espace de transition entre le dehors et le dedans, le moment d'explorer d’autres perspectives et d’essayer d’autres paires de lunettes !

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L’université fait le mur

« Il fait froid mais c’est chaleureux ! » lançait alors une étudiante à propos de Khiasma, tandis que les énigmes optiques de la révolution cubaine hantaient nos imaginaires. Une longue après-midi que nous avons passée en compagnie de Célio Paillard, ami et allié historique, et ses étudiants en architecture de l’École nationale supérieure d'architecture de Paris-Val de Seine.

Nous y avons abordé la question des savoirs non occidentaux et du principe inscrit dans la modernité coloniale de "voir de loin", de capturer sans relation, à l'opposé du geste d'Edouard Glissant d'un monde en relation, "un chaos monde où l'on change en échangeant" qui implique aussi la friction entre des diversités et une certaine toxicité inévitable. Des réflexions qui nous ont embarqués sur la question du bruit de fond et de modes de perception. Qu’est ce qui passe sous les radars mais demeure agissant ? Comment cela peut-il se traduire dans la mise en scène d’une exposition ou d’un espace comme Khiasma qui se reconfigure à chacune de ses ouvertures ?

Des questions que nous mettions déjà la veille au travail, mercredi 11 avril, avec la visite d’Ismaïl Bahri accompagné ses étudiants artistes de l’université Paris 8. On y parcourait entre autres la généalogie du bleu qui plonge désormais l’espace Khiasma au fond de l’océan, dans le ciel ou l’écran de veille et la poésie d’Edouard Glissant issue de son ouvrage Poétique de la relation paru en 1990 — des cicatrices dans la limpidité des lentilles, réfractées et déformées. Gravées, elles nous rappelaient : «This is opacity now at the bottom at the mirror».

Au début de la même semaine, ce sont les étudiants en cinéma de Paris 8 toujours, accompagnés par leur enseignant Damien Marguet, qui s’interrogeaient sur l’économie d’un autre cinéma, le sens d’un film dans le contexte d’une exposition ou comment fabriquer des récits cinématographiques comme des collages sans se soucier de la chaîne classique de production et de validation. La table comme un film, comme un espace de montage, le film comme un tableau entropique d’images au régime différents, le cinéma comme une matière, un chimie et un dessin.

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Le potager liberté

Ils examinent l’alluvion déposé aux Lilas et transformé dans l’exposition Op-Film, bêchent les toits et conçoivent des potagers expérimentaux fondés sur les principes de l’agro-écologie et de la permaculture. Voilà deux mois que l’association Potager Liberté occupe chaque semaine la Loge pour penser l'aménagement d'un premier potager au sein du parc Simone Veil, qui verra le jour cet été au bas au pied de la résidence des Bruyères aux Lilas. Un processus de construction collective qui sera documenté sur la radio r22 Tout-monde et rythmé par des rendez-vous à l’Espace Khiasma. Retrouvez leur actualité sur leur site ici : http://www.potager-liberte.com et sur leur page facebook : facebook.com/potagerliberte/

Repolitiser le féminisme

Vendredi 13 avril, pendant tout l’après midi, Yala Kisukidi a investi la Loge de Khiasma pour y organiser un workshop autour du dernier livre de Françoise Vergès, Le ventre des femmes (Albin Michel, 2017) qui avait été présenté à Khiasma en mars 2017. En compagnie d’Eric Fassin (Paris 8), de Mara Montanaro (Paris 8), de Nacira Guénif (Paris 8), de Farah Chérif Zahar (Paris 8) et de Romy Opperman (Penn State University) et d’étudiants de Paris 8 et de l’EHESS, elle a présidé à une petite communauté de travail qui s’est saisie des pistes lancées par ce livre considérable.

Prenant acte du fait que le colonial racial français demeure un impensé qui dépolitise nombre de récits féministes français, comment repenser le féminisme, non pas pour y ajouter de nouveaux chapitres à ses généalogies mais pour interroger ses cadres ? Les participants et participantes au workshop rassemblés pour l’après-midi dans la loge de l’espace Khiasma ont arpenté, en s’appuyant sur de vigoureuses lectures, la cartographie renouvelée du féminisme à laquelle nous convie l’ouvrage de Françoise Vergès. Tandis que le soleil faisait d’étincelantes apparitions, la troupe, aimantée par la lumière printanière, s’est petit à petit déplacée, au gré de la météo malicieuse, de la Loge vers la cour de l’Espace Khiasma pour prolonger la discussion sous d’estivaux augures, avant de se quitter sur cette idée : ne pas suspendre le féminisme quand il ne convient pas.

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    Comme un lundi : «Ce dont la fin de Khiasma est le nom»

    Quand un petit centre d’art associatif tel que l'Espace Khiasma ferme dans la proche banlieue de Paris, en Seine-Saint-Denis précisément, c’est forcément un signe des temps. Happy Mondays: «What the end of Khiasma stands for» When a small-scale independent art centre like Espace Khiasma closes in the Paris suburbs, in the district of Seine-Saint-Denis specifically, it is necessarily a sign of the times.

  • La Loge, The (Archival) Box — récit d'une résidence par anticipation [ExposerPublier]

    Notes du vendredi 2 mars 2018 "Ce que nous sommes : un collectif d'artistes chercheurs et de graphistes. Ce que nous produisons : des formes et des signes à partir d'une matière première. Ce que nous allons faire à Khiasma : une résidence de recherche et production (de formes et de signes) à partir d'une matière première qui est le centre d'art lui-même, ce qu'il produit (de la recherche, du savoir, des œuvres, des relations, de l'archive par la radio,…), ainsi que le contexte territorial dans lequel il s'inscrit.

  • La Loge, The (Archival) Box — récit d'une résidence par anticipation [ExposerPublier]

    Samedi 22 septembre On n’imagine jamais que cela puisse arriver, en vrai. Les journées défilent, les idées s’enchaînent, les urgences aussi. Et puis, un jour, il est peut-être trop tard. Trop tard pour réaliser certaines choses, trop tôt pour d’autres probablement. J’avais imaginé tenir les Mercredis de La Loge, ou des Chroniques d’excavation. Cela devait commencer au mois d’août et s’ouvrir sur une rue déserte, écrasée par la chaleur de l’été. J’avais commencé un texte. Il évoquait les discussions que nous avions eues depuis un an autour de cette table trop grande pour cette demie cuisine, trop bancale pour ces longues réunions, trop petite pour ces nombreux.ses convives. Nous devions entamer ce mois-ci notre année de résidence, devenir (enfin) les concierges du centre d’art dont nous avions écrit les rôles.

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    Comme un Lundi : «Le lieu se fait en nous»

    ... Mais il a fallu faire un lieu. Fatalement. Pourquoi donc ? On ne le sait pas. Khiasma est un accident qui est si signifiant avec le temps qu’on aurait du mal à le penser comme un fait du hasard. Mais du mal aussi à l’expliquer autrement que comme une démangeaison qui un jour devient une pensée en acte. Happy Mondays: «The place becomes within us» ... But there was a place to make. Fatally. Why so? We do not know. Khiasma is an accident that’s become so meaningful in time that it’s difficult to picture it as the result of pure chance. Difficult, too, to explain it otherwise than as an old itch turned one day into a thought in action.