Macron

Comme un Lundi : «Le prédateur amoureux»

« Ah ! je vais mourir !... Rapproche-toi, réchauffe-moi ! Pas avec les mains ! Non ! Toute ta personne. »
Gustave Flaubert, « Saint-Julien l’Hospitalier ».

A peine remis d’un nouveau grisant hold-up de l’équipe de France de football contre la valeureuse équipe de Croatie que soudainement me voilà replongé dans les affaires courantes sans transition. Pas le temps de savourer la deuxième étoile fraîchement imprimée sur le maillot au-dessus de la silhouette fantôme d’un coq. Pas le temps de méditer cette étrange finale de Coupe du monde. Ça arrive. Alors que la pluie vient gâcher la photogénie de la cérémonie mondialement retransmise, ça arrive. Sans prévenir. Ça monte d’abord doucement, mais très vite cela devient gênant.

Le président de la République Française, Emmanuel Macron, prend les joueurs de l’équipe de France dans ses bras, langoureusement, leur tient la nuque avec un peu trop d’insistance. Ça dure, la poignée est ferme et amicale, amoureuse et délicatement autoritaire. La bouche est déjà dans l’oreille et déverse des confidences brûlantes. Le territoire national enveloppe les vainqueurs. Mais ce n’est plus le corps abstrait de l’Etat, c’est un corps prêt à toutes les intimités, auquel nul ne peut opposer de limites et de lieux secrets. Déploiement d’un dispositif narcissique dont on ignore s’il est une mise en scène outrancière ou simplement l’expression d’un système capitaliste intégré qui a fait des affects son nouvel objet d’extraction et du corps son terrain d’exercice. On n’avait pas souvenir d’avoir vu ça avant. Mais depuis l’avènement du nouveau royaume néolibéral français, il n’y a plus d’avant, plus d’Histoire de référence dont un jeune homme président pourrait se sentir prisonnier(1).

Il y a pourtant une vieille tradition du séjour des hommes politiques dans les vestiaires de football les soirs de victoires et de célébrations nationales. Mais là il y a autre chose. Une véritable vampirisation, la capture affective d’un corps chargé de valeur, gorgé de renommée et de triomphe.

Je te prends dans mes bras alors que je ne te connais pas. Tu es maintenant mon immense ami parce que j’ai besoin que tu me donnes ce que tu as. Je n’ai pas de réconfort à t’offrir, je viens seulement sentir ta chaleur et la faire mienne.

Le président met à nu les stratégies du sentiment amoureux dans l’économie de la capture, un amour de soi dans le corps de l’Autre, matière saisie, pressée, excavée, tout autant que flattée. C’est simple et direct, cela devrait nous avertir, faire signe d’un projet de société dont le but est de saisir l’Autre avant qu’il ne s’enfuie vers sa propre histoire, sa propre autonomie, sa gloire et sa complexité, avant qu’il n’échappe à un roman national sans mémoire, avant qu’il ne pointe une différence, un écart.


(1) Lors de son voyage en Algérie en décembre 2017, le président Macron affirme qu’il ne se sent pas prisonnier de l’histoire coloniale de la France.


The Amorous Predator

“Ah! I am going to die! ...Come closer, warm me up! Not with your hands! No! With your whole body!”
Gustave Flaubert, « Saint-Julien l’Hospitalier ».

Barely recovering from a new and exhilarating win of the French football team against the brave Croatian team, I am suddenly thrown into current affairs without transition. No time to savour the second star freshly imprinted onto the football shirt just above the ghostly silhouette of a cockerel. No time to contemplate this strange World Cup final. Shit happens. Whilst the rain washes away the photogénie of this globally transmitted event, shit happens. Without warning. It begins slowly, but very quickly becomes painful.

The president of the French Republic, Emmanuel Macron, takes the players of the French team in his arms, languorously, holding the backs of their necks with a bit too much insistence. Lasting, his embrace is strong and friendly, loving and delicately authoritarian. His mouth, already in someone’s ear, spills out burning secrets. The national territory engulfs the winners. But it is no longer the abstract body of the State, instead it is a body ready for all forms of intimacy, which no one can contest through the creation of their own limits or secret spaces. A narcissistic apparatus is unfolding, in which it is unclear if we are witnessing an outrageous mise-en-scène or simply the expression of an already integrated capitalist system that has made of affect a new object of extraction with the body as its training ground. We don’t remember having seen this before. But since the arrival of this new neoliberal French Kingdom, there is no “before”, no official history by which a young president might feel imprisoned(1).

There is however an old tradition of politicians visiting changing rooms during victorious evenings and national celebrations. But that is something else. A real vampirisation; the affective capture of a body loaded with value and bursting with fame and glory.

I take you in my arms even if I don’t know who you are. You are now my dearest friend because I need you to give me what you have. I have nothing to comfort you with, I come only to feel your heat and to make it mine.

The president lays bare his strategy of amorous emotion within the economy of capture - a love of oneself in the body of the Other; a substance that is seized, squeezed and extracted as much as it is flattered. It is simple and direct, it should inform us, reveal to us the social project through which the Other is seized before they can flee towards their own history, their own autonomy, glory and complexity, before they can escape the national storybook with no memory, before they can point towards a difference, a gap.


(1) During his visit to Algeria in December 2017, President Macron asserted that he didn’t feel like a prisoner of French colonial history.

Translation from French by Louis Henderson

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    Comme un Lundi : «Le lieu se fait en nous»

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