IMG 3138bis

Repolitiser le féminisme

Vendredi 13 avril, pendant tout l’après midi, Yala Kisukidi a investi la loge de Khiasma pour y organiser un workshop autour du dernier livre de Françoise Vergès, Le ventre des femmes (Albin Michel, 2017) qui avait été présenté à Khiasma en mars 2017. En compagnie d’Eric Fassin (Paris 8), de Mara Montanaro (Paris 8), de Nacira Guénif (Paris 8), de Farah Chérif Zahar (Paris 8) et de Romy Opperman (Penn State University) ainsi que d’étudiants de Paris 8 et de l’EHESS, elle a présidé à une communauté de travail qui s’est saisie des pistes lancées par ce livre considérable.

Prenant acte du fait que le colonial racial français demeure un impensé qui, en creux, structure et dépolitise nombre de récits féministes français, en leur donnant par exemple la parité pour principal territoire de lutte, comment repenser le féminisme - non pas pour y ajouter de nouveaux chapitres à ses généalogies mais pour interroger ses cadres ?

Les participants et participantes au workshop rassemblés pour l’après-midi dans la loge de l’espace Khiasma se sont demandés, en s’appuyant sur de vigoureuses lectures, à quelle cartographie renouvelée du féminisme nous convie l’ouvrage de Françoise Vergès. Cette cartographie, ils l’ont souhaitée attentive à la pluralité hétérogène de l’expérience coloniale, informée par les angles morts, les luttes oubliées, des histoires méconnues, comme celles des outres-mers - ou les colonies départementalisées - grands oubliés des récits d’émancipation dans l’hexagone.

S’appuyant sur de nouvelles histoires, qui demeurent encore à construire, ils ont collectivement tentés de nouveaux montages, parce que ce seront des nouvelles mises en rapport qu’émergeront les forces des pensées féministes à venir. Cet intense après-midi a croisé la question de la reproduction, lieu d’un nouage entre capitalisme et racialisation qui engage la question juridique, médicale et politique. Il a aussi été l’occasion d’aborder la problématique de la protection : comment prendre soin du besoin de protection, parce que la domination est véritablement violente, sans l’orienter vers un féminisme punitif et carcéral ?

Les longues discussions ont, entre autres, restituer des histoires, parmi elles, celle des enfants réunionnais de la creuse, de la répression dans les outre-mers dans les années 1970, du contrôle racialisé des naissances aux Etats Unis organisé pensé par Margaret Higgins Sanger, du procès de Jamila Boubacha pendant la guerre d’Algérie, du rôle du trafic d’esclave dans la destruction de l’île de Pâques, de la question des cimetières d’esclave, de la possible maternité internationale à Mayotte.

Ces histoires sont comme autant d’écritures mémorielles qui puisent dans la capacité réparatrice du passé, dans sa capacité d’irruption et de réinvention, pour en faire un lieu où retrouver des puissances, tout en prenant la mesure de la discontinuité d’une temporalité, marquée par les défaites, les arrêts, qui se donne la liberté pour horizon.

Tandis que le soleil faisait d’étincelantes apparitions, la troupe s’est petit à petit déplacée, au gré de la météo, vers la cour de l’Espace Khiasma pour prolonger la discussion sous d’heureuses augures, autour de la difficulté de monter des alliance entre fémininises blanches et féministes racisées, et des promesses d’une approche décoloniale de l’environnement, avant de se quitter sur cette idée : ne pas suspendre le féminisme quand il ne convient pas.

{{ message }}

{{ 'Comments are closed.' | trans }}

  • IMG 4529%27

    Comme un lundi : «Ce dont la fin de Khiasma est le nom»

    Quand un petit centre d’art associatif tel que l'Espace Khiasma ferme dans la proche banlieue de Paris, en Seine-Saint-Denis précisément, c’est forcément un signe des temps. Happy Mondays: «What the end of Khiasma stands for» When a small-scale independent art centre like Espace Khiasma closes in the Paris suburbs, in the district of Seine-Saint-Denis specifically, it is necessarily a sign of the times.

  • La Loge, The (Archival) Box — récit d'une résidence par anticipation [ExposerPublier]

    Notes du vendredi 2 mars 2018 "Ce que nous sommes : un collectif d'artistes chercheurs et de graphistes. Ce que nous produisons : des formes et des signes à partir d'une matière première. Ce que nous allons faire à Khiasma : une résidence de recherche et production (de formes et de signes) à partir d'une matière première qui est le centre d'art lui-même, ce qu'il produit (de la recherche, du savoir, des œuvres, des relations, de l'archive par la radio,…), ainsi que le contexte territorial dans lequel il s'inscrit.

  • La Loge, The (Archival) Box — récit d'une résidence par anticipation [ExposerPublier]

    Samedi 22 septembre On n’imagine jamais que cela puisse arriver, en vrai. Les journées défilent, les idées s’enchaînent, les urgences aussi. Et puis, un jour, il est peut-être trop tard. Trop tard pour réaliser certaines choses, trop tôt pour d’autres probablement. J’avais imaginé tenir les Mercredis de La Loge, ou des Chroniques d’excavation. Cela devait commencer au mois d’août et s’ouvrir sur une rue déserte, écrasée par la chaleur de l’été. J’avais commencé un texte. Il évoquait les discussions que nous avions eues depuis un an autour de cette table trop grande pour cette demie cuisine, trop bancale pour ces longues réunions, trop petite pour ces nombreux.ses convives. Nous devions entamer ce mois-ci notre année de résidence, devenir (enfin) les concierges du centre d’art dont nous avions écrit les rôles.

  • CL retouche%CC%81e

    Comme un Lundi : «Le lieu se fait en nous»

    ... Mais il a fallu faire un lieu. Fatalement. Pourquoi donc ? On ne le sait pas. Khiasma est un accident qui est si signifiant avec le temps qu’on aurait du mal à le penser comme un fait du hasard. Mais du mal aussi à l’expliquer autrement que comme une démangeaison qui un jour devient une pensée en acte. Happy Mondays: «The place becomes within us» ... But there was a place to make. Fatally. Why so? We do not know. Khiasma is an accident that’s become so meaningful in time that it’s difficult to picture it as the result of pure chance. Difficult, too, to explain it otherwise than as an old itch turned one day into a thought in action.